samedi 17 avril 2010

MONTRÉAL SUR LE MOTIF ET EN PHOTO – L’art et la photographie

« La vérité en art n’est pas la vérité photographique, tel que plusieurs semblent le penser aujourd’hui. Un nombre de peintres semblent, sous l’influence de cette idée, entrer en compétition avec la caméra, ce qui est aussi laborieux que futile ».* Écrit en 1870 par Horace de Boisbaudran, le célèbre professeur de la méthode mémoire en art.

L’invention du daguerréotype, première caméra

« Lorsque le précurseur de l’appareil photo, le daguerréotype, fut inventé au début du dix-neuvième siècle, certains commentaires dans les journaux littéraires et artistiques annonçaient aux artistes que l’invention serait au service de l’artiste…que le daguerréotype servirait en tant qu’esquisse pour l’artiste et qu’il serait utile pour l’artiste qui n’a pas le temps de dessiner ».**

La photo – que représente-t-elle?

La photo peut être un aide-mémoire pour l’artiste, mais avant de s’en servir il faut prendre conscience qu’elle ne représente pas fidèlement la réalité. La réalité vue par l’artiste est-elle la même que celle vue par la lentille? Ce sujet est traité par Aaron Scharf en détail dans un volume de 397 pages publié en 1968 et intitulé : Art and Photography. Impossible, bien sûr, de résumer ce fascinant livre ici en quelques paragraphes. Afin de se questionner sur la fonction de la photo en art, je vous présente ici quatre scènes urbaines peintes récemment que vous pouvez comparer à la photo du même endroit. Une discussion accompagne le visuel.

1. La photo représente tout ce qu’elle perçoit de façon uniforme et en deux dimensions alors que nos deux yeux nous permettent de voir en trois dimensions– Lorsque je peins sur le motif, je limite le sujet dans mon champ de vision et je choisis parmi tous les éléments ceux qui me serviront. Si, par exemple, j’examine la photo de la Place Jacques-Cartier, je remarque que j’ai éliminé plusieurs d’éléments et que j’en ai accentué d’autres. C’est la silhouette irrégulière des toits qui est le sujet principal. Si je travaille uniquement à partir de la photo en studio, le danger est de tout représenter de façon égale telle que je le perçois dans la photo. Tout dans la photo a une allure semblable, autant les valeurs que la couleur. Cette égalité m’influencera négativement. Quand je suis devant le motif, j’interprète la scène et je ne peux pas copier tout ce qui est devant moi. Le manque de temps, les distractions autour de moi et surtout ma réaction émotive à la scène m’empêchera de la représenter sans interprétation personnelle comme le fait la caméra. Cette dernière ne ressent aucune émotion devant la scène.


2. Certaines scènes que nous voulons peindre sont souvent mal éclairées – Lorsque j’ai peins cette église, j’ai vite réalisé que la façade ne serait jamais bien éclairée. Pendant toute la journée le bâtiment était presque toujours à l’ombre. Il aurait fallu, je crois, un vrai tour de force, même avec toute mon expérience, pour inventer la lumière et la couleur adéquates et vivantes en travaillant en studio seulement en me basant sur cette photo sombre et grise. Aussi, le fait d’être sur place m’a facilité l’intégration de gens et d’autos dans la scène à l’endroit que je voulais.




3. La perspective qui est représentée par la photo est fausse, il faut ajuster – Si vous comparez la photo à l’œuvre vous pouvez voir que les verticaux des édifices dans la photo, au lieu d’être parallèles, convergent vers le ciel. Lorsqu’on peint une telle scène de bâtiments il vaut mieux ajuster, sinon le spectateur verra que la peinture est une copie d’une photo, à moins que ceci soit voulu pour un effet quelconque. Parce que j’étais dehors, j’ai pu accentuer et même présenter plusieurs éléments, tels la bouteille à lait, qui n’est pas très visible dans la photo. J’ai eu recours à mes émotions et j’ai créé une harmone de couleurs en conséquence.


4. Certaines formes, bâtiments et ombres portées, par exemple, paraissent trop foncées dans la photo – Souvent les valeurs dans la photo sont soit trop foncées ou trop pâles. Cette peinture traite un sujet ou il y a des bâtiments au loin. Pour faire sentir que la silhouette de la ville est éloignée, je la peins plus flou et pâle contrairement à ce qu’on voit dans la photo. Pour faire paraître le navire plus rapproché je le peins plus en détail. J’ajoute un personnage afin qu’on puisse connaître la dimension du bateau par comparaison.


La photo au service de l’artiste

La photo peut avoir sa place dans la création d’une œuvre. Plusieurs impressionnistes se sont servis de la photo. Elle était indispensable pour des artistes/illustrateurs tels l’américain Norman Rockwell. Personnellement, j’utilise mes photos (il est important de se servir de ses propres photos) en studio lorsque j’ai besoin d’information supplémentaire pour ajouter à un dessin ou à une pochade fait sur le motif. Bref, la photo n’a pas d’émotion. Lorsqu’on demande à Matisse pourquoi il peint, il dit : «Afin de traduire mes émotions, mes sentiments et les réactions de ma sensibilité en couleur et en design, quelque chose que ni l’appareil la plus parfaite, même en couleur, ni le cinéma ne peuvent faire.» ***









*Art and Photography par Aaron Scharf, p. 178

** Ibid. p. 26

*** Ibid. p. 253

Raynald Murphy sca

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